Après l’Italie, l’Espagne ? Les scrutins se suivent et se ressemblent ; l’Europe se fissure.

Au lendemain de la déroute du parti socialiste aux élections locales de la semaine dernière, le chef du gouvernement espagnol, P. Sanchez, a convoqué des élections législatives anticipées pour le 23 juillet, cinq mois avant l’échéance prévue. Après cinq ans de réformes économiques et sociales dans un contexte des plus tendus, de covid et de crise énergétique, le leader socialiste espagnol est menacé de perdre sa place, face au parti de droite, le PP, potentiellement allié à l’extrême droite de Vox.

Le bilan économique du gouvernement Sanchez n’est que peu remis en cause. Malgré un retard de croissance, le pays a plutôt mieux préservé ses fondamentaux que bien d’autres de ses partenaires, en particulier sur le front budgétaire. Les raisons de l’échec de P. Sanchez sont plus politiques qu’économiques, impactant de fait, assez peu les perspectives financières du pays, en particulier, sa situation souveraine. L’issue de ces élections pose néanmoins une question plus que toute autre, celle du devenir du projet européen en cas d’arrivée du PP, vraisemblablement, allié à Vox, à la tête de l’Espagne, après celle de G. Meloni en Italie l’an dernier, et les postures de plus en plus hostiles de la Pologne, la Hongrie et d’autres.

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Tigre de papel’ ou véritable cassure historique

Difficile de répondre à cette question à ce stade mais la Catalogne a franchi un nouveau cap cet après-midi avec le vote de son parlement favorable à la déclaration d’indépendance de la région. Comment peuvent évoluer les choses à partir de maintenant ? Nul peut le dire. L’application de l’article 155 de la constitution espagnole, ne fait plus de doute. Lors d’une brève allocution après le vote du parlement catalan, Mariano Rajoy a rappelé qu’il prendra les dispositions requises pour assurer l’application de la constitution, sans en dire davantage à ce stade. Une arrestation du président du parlement catalan, Puigdemont, et de son adjoint est probable tandis que l’autorité centrale de Madrid reprendra les pleins pouvoirs sur la Catalogne.

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Puigdemont laisse la voie libre à la BCE

C’est vraisemblablement ce que retiendront les marchés, à court terme, de l’allocution du président de la Catalogne devant le parlement régional.

Si la situation espagnole est loin d’être éclaircie, le scénario du pire qu’aurait été celui de la proclamation d’une république indépendante de Catalogne, est écarté. Durant son discours, le président Catalan n’a pas remis en cause les résultats de la consultation du 1er octobre qui, selon lui, ont donné à la région le droit à son indépendance et a affirmé que « la Catalogne sera une république indépendante ». Toutefois, afin de laisser le temps au dialogue et à la médiation, il a demandé la suspension sine die de la loi adoptée en septembre dernier qui imposait la déclaration d’une république indépendante dans les deux jours suivant le référendum en cas de résultat positif. En procédant de la sorte Puigdemont limite -sans évacuer totalement- la possibilité pour Madrid d’utiliser l’article 155 de la Constitution qui permettrait à l’État central de reprendre le contrôle de la région.

Cette stratégie, plutôt que celle de l’affrontement aux conséquences imprévisibles, éloigne le spectre d’une crise imminente, quand bien même nul ne peut dire à ce stade quels seront les développements à venir dans le scénario le plus probable, celui d’une fin de non-recevoir de Madrid aux demandes de dialogue.

Le dossier est donc loin d’être clos et animera vraisemblablement encore longtemps la vie politique en Espagne. Il devrait toutefois être beaucoup plus facile à la BCE de passer outre ces menaces qu’en cas de crise avérée, au moment où cette dernière s’apprête à communiquer sur sa stratégie monétaire de l’année 2018 au terme de son prochain comité de politique monétaire du 26 octobre. Alors que les voix des membres de la BCE en faveur d’une réduction programmée de ses achats d’actifs se multiplient, l’atténuation du risque de crise imminente en Espagne a toutes les chances de peser en leur faveur. L’euro, dont le cours a déjà réagi positivement au discours du président catalan, devrait en sortir renforcé en même temps que le niveau des taux futurs dont on peut légitimement envisager qu’ils se retendent dans les jours à venir.

Europe : que fais-tu, qu’espères-tu ? Le piège des promesses de la BCE

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Effrayantes, les conséquences de la politique économique de la zone euro le sont de jour en jour davantage. Inutiles sur ce point de faire de longs discours, nous nous contenterons de rappeler que depuis le début de la crise de 2008 l’Espagne a vu confisqués quasiment  tous les gains enregistrés depuis son adhésion à l’union monétaire. Ainsi, fin 2012 :
– Le revenu disponible par habitant était revenu à son niveau de 2004, soit un retour de huit ans en arrière correspondant à une chute de plus de 12 % du revenu réel moyen par adulte de plus de 16 ans.
– Le produit intérieur brut affichait une baisse de 7 % depuis son point haut de 2008 et n’était pas plus élevé qu’au début de l’année 2006.
– Au cours de la même période, la production industrielle avait enregistré une contraction de 35%, plus marquée encore que celle connue par la Grèce (-30%). L’activité industrielle était ainsi retombée à son niveau du début des années quatre-vingt-dix, tout comme les immatriculations automobiles !
– Le chômage, enfin, excluait un espagnol sur quatre du marché du travail et plus de 55% des jeunes de 16 à 24 ans.
Comment un tel ravage peut-il aboutir à quoique ce soit de positif à terme ? La baisse des coûts unitaires de production derrière laquelle les économistes se réfugient pour trouver un sens à cette purge ne pourra avoir que des effets marginaux sur la croissance future. L’industrie n’a jamais été le fort de l’Espagne, en effet. Comment cela pourrait-il changer aujourd’hui, alors que les capacités de production s’érodent davantage de jour en jour et qu’aucune politique de développement structurel d’investissement n’est mise en place ?
L’inquiétude des investisseurs qui, jusqu’à l’été, avait le mérite d’alarmer sur les risques assortis aux choix de politique économique européens n’est plus à l’oeuvre depuis que la BCE a annoncé la mise en place d’un mécanisme de sauvetage des pays en difficulté en septembre. Naïvement nous avons cru que les OMT seraient effectivement utilisées pour rompre avec la logique de destruction qui avait marqué les deux premières années de crise souveraine. Il n’en est rien. Pire, en assurant un rôle de prêteur en dernier ressort, la BCE a anesthésié les marchés. Elle prive ainsi les observateurs d’un système d’alerte parmi les plus efficaces pour aider à prendre conscience des errements de la politique européenne… Combien de temps faudra-t-il maintenant pour que les investisseurs retrouvent un regard critique ?

Les mirages du désendettement : le cas italien

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Le FMI, la Commission Européenne, les agences de notation nous l’affirment : la dette publique des pays européens les plus en difficulté devrait plafonner d’ici un ou deux ans et retrouver d’ici 2020 des niveaux plus supportables. Incontestablement bienvenu après la crise de 2012, ce diagnostic ne manque toutefois pas de surprendre. Sur quoi repose-t-il ? Nous avons examiné les schémas retenus par ces différentes institutions pour l’Italie et l’Espagne, dont la dégradation de la situation souveraine a constitué un enjeu majeur en 2012, et la France, au sujet de laquelle les perspectives souveraines soulèvent de nombreuses interrogations. De cette analyse, nous retirons les conclusions suivantes :

  • Ces projections sont toutes affectées d’un biais positif sur les perspectives de croissance structurelle et sur la capacité des pays à mener des politiques durablement très restrictives. Elles sont donc soumises à révisions futures.
  • Ce constat s’applique notamment au cas italien pour lequel le caractère fantaisiste des projections de croissance rend les perspectives de désendettement illusoires. Des prévisions plus conservatrices fermeraient la porte à toute possibilité de stabilisation de la dette d’ici à 2020, période au terme de laquelle le taux d’endettement approcherait alors 140 % du PIB.
  • L’Espagne semble avoir plus de chances de parvenir à stabiliser sa dette à horizon prévisible. Ceci tient au fait que son taux d’endettement est inférieur de 30 pts à celui de l’Italie et, qu’au contraire de cette dernière, l’amélioration de sa croissance potentielle paraît en bonne voie. Notre scénario d’une croissance du PIB réel espagnol de 0,7 % l’an en moyenne entre 2013 et 2020, permettrait une très nette inflexion du rythme de croissance de l’endettement à partir de 2015. La dette publique espagnole pourrait ainsi se stabiliser dans une fourchette de 105 % à 110 % du PIB, un niveau certes sans comparaison avec les projections du FMI ou des agences de notation mais toutefois très inférieur à ce que suggère la situation italienne. 
  • Enfin et malgré les déconvenues actuelles, une inflexion de la trajectoire de la dette française semble encore très accessible. Dans l’hypothèse centrale d’une croissance du PIB réel de 1,2 % en moyenne entre 2013 et 2020, le seul maintien du solde primaire à l’équilibre permettrait de faire refluer le niveau de la dette publique française à partir de 2015.

Au vu de cette analyse, l’Italie est donc une exception et, sans conteste, le cas le plus critique des grands pays de la zone euro. Cette situation représente un risque évident de nouvelles déconvenues, dès lors que les projections aujourd’hui les plus admises seront révisées. Ce pourrait naturellement être le cas après les élections italiennes si, comme on peut le redouter, le nouveau gouvernement en place n’a pas les marges de manœuvre suffisantes pour donner les gages nécessaires aux investisseurs sur sa capacité à infléchir les tendances du surendettement du pays.

Mais de telles perspectives soulèvent une interrogation plus fondamentale de moyen terme sur la capacité de la zone euro à faire face à une situation dans laquelle la troisième économie de la région semble sur la voie d’un sort comparable à celui du Japon…

Trêve estivale, et après ? La carotte et le bâton

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Après quelques semaines des plus incertaines, les investisseurs ont salué les promesses de la BCE de la fin juillet et le mois d’août a été celui du répit. Combien de temps patienteront-ils avant d’exiger que ces promesses soient suivies d’actions concrètes et que nous réservent les mesures tant attendues ? En conditionnant les achats de titres souverains espagnols et italiens à la demande préalable d’aide du FESF par les pays concernés, les dirigeants européens persisteraient sur la voie de l’enlisement dans laquelle ils se sont embourbés depuis maintenant plus de deux ans et qui entraîne naturellement dans son sillage un nombre croissant d’économies de la région dans ses abysses. Or rien ne laisse préjuger qu’il en sera autrement.

 

Espagne : spirale à la grecque ?

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Le mode de gestion de la crise souveraine est une aberration qui finira, et ceci peut-être plus rapidement que nul ne peut aujourd’hui décemment l’imaginer, par tuer l’union monétaire.  Dans le contexte d’extrême détérioration des conditions économiques depuis le milieu du printemps, l’accentuation des politiques d’austérité fait courir un risque majeur aux pays en crise.  

 L’annonce du gouvernement Rajoy d’un nouveau plan d’austérité a dans un premier temps rassuré les bailleurs de fonds du pays : les taux d’intérêt à long terme ont en effet baissé significativement (plus de 20bp, à 6.60%) immédiatement après l’annonce du premier ministre. Les gages donnés par le gouvernement espagnol contre l’assouplissement des objectifs de réduction de ses déficits publics accordés par Bruxelles semblent avoir convaincu les observateurs. Les annonces d’une réforme en profondeur de l’Administration amenée à réduire de 30 % le nombre de conseillers locaux et d’une hausse simultanée de trois points de la TVA, ont, à ce titre, probablement été perçues comme les plus convaincantes. Ce plan d’austérité soulève pourtant bien des inquiétudes quant à l’issue de la crise actuelle. D’un montant de 65 milliards d’euros pour la période 2012 – 2014, ce nouveau paquet, 6.5 % du produit intérieur brut actuel, est particulièrement restrictif, ceci tout particulièrement pour une économie déjà en récession. Le risque que ces efforts se révèlent in fine totalement vains car trop coûteux en terme de croissance est à ce stade très substantiel et celui qui lui est associé, à savoir, que l’Espagne ait déjà entamé une spirale à la grecque est aujourd’hui incontestablement élevé.

 

L’Europe monétaire de l’ambition à décadence : le critère manquant

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Précipiter l’adhésion à la monnaie unique de pays dont les niveaux de productivité étaient trop éloignés de ceux du noyau dur les a privé de l’accompagnement monétaire dont ils auraient eu besoin durant la période de rattrapage structurel de leurs économies. Cela a bien été l’erreur première et potentiellement fatale de la construction de l’Europe monétaire dont la crise actuelle est le résultat direct.

A l’origine, il y avait un projet, ambitieux : celui d’une Europe unie dont la construction devrait aboutir à un mieux être collectif, celui d’une Europe solidaire offrant aux pays les moins développés l’opportunité d’une convergence accélérée vers le niveau de richesse des plus avancés, celui enfin, d’une Europe en paix parce que forte d’un pouvoir économique commun suffisamment puissant pour assurer une cohésion durable.

Les premiers temps de l’Europe ont largement alimenté l’ambition première. Lorsqu’au milieu des années quatre-vingts l’Espagne adhère à l’UE, c’est avec un niveau de vie de vingt-cinq pourcent inférieur à la moyenne franco allemande. Le boom économique qui suit cette intégration permet d’augmenter le revenu par habitant de la population espagnole de 50 % en moins de quinze ans, comblant ainsi quasiment la moitié de son retard initial. Au cours de cette même période, les flux d’investissements étrangers massifs accompagnent le développement de l’industrie en même temps qu’un quadruplement du volume des exportations, absorbées à hauteur de 75% par les autres pays de UE ; l’emploi passe de 11 à 15 millions tandis que, d’année en année, les transferts structurels de l’UE, dont l’Espagne est longtemps le premier bénéficiaire, assurent la mise à niveau progressive de son taux d’équipement en infrastructures, indispensable à la pérennisation de son développement.